Trigger Warning: situation de contact physique imposé détaillée plus bas dans l’article.
Le sexisme est partout, je ne pense pas jeter un pavé dans la mare en posant ici cette affirmation. Cette discrimination vient majoritairement des hommes, mais aussi des femmes. On la constate au quotidien, qui nous fournit régulièrement des exemples affligeants. L’édition ferait-elle exception?
L’édition, un milieu très masculin
Historiquement, l’édition a toujours été un domaine réservé aux hommes. Car les femmes, c’est bien connu, ça ne peut pas réfléchir et accéder à des connaissances intellectuelles. À l’origine, avant les progrès de la médecine, il était considéré comme vrai que le cerveau d’un homme étant en moyenne plus gros que celui d’une femme, il était donc plus performant (c’est souvent une histoire de taille et de performance, avec le sexisme).
Paul Broca (1824-1880)
Merci, Paul, pour ton intervention. Et même si, depuis, on a fait un peu de progrès à ce niveau (heureusement), il n’en reste pas moins que les milieux intellectuels conservent ce patrimoine majoritairement masculin.
Un sexisme dont les femmes ont bien entendu conscience. Prenons George Sand, la baronne Dudevant, qui a dû publier ses écrits sous un pseudonyme d’homme. L’origine de ce choix n’est pas très claire (imposé, sa volonté?), mais l’intérêt est évident: avoir ses chances d’être publiée, et surtout lue et prise au sérieux, par ses pairs constitués principalement de mecs.
En bref, il y aurait bien des exemples à utiliser pour illustrer mon propos, mais ça ne me semble pas nécessaire. On sait que l’édition prend ses racines dans une société patriarcale, où l’homme pense et la femme brode. Plus ou moins. Elle peut aussi s’occuper du repas et des enfants, selon la classe sociale.
Forcément, plus un domaine est masculinisé, plus il est sexiste.
Balance ton éditeur, ça lui fera les pieds
Justement, le sexisme, y en a marre. Et si énormément de femmes le répètent, le scandent et le hurlent depuis des siècles, on ne peut pas dire qu’on les ai écoutées depuis si longtemps.
La dernière grosse vague a été celle de #MeToo, lancée par Tanara Burke en 2007, mondialisée par l’affaire Weinstein 10 ans plus tard. En France, le hashtag populaire est devenu #BalanceTonPorc.
C’est ce dernier qui a été repris sur le compte Instagram de Balance Ton Éditeur. Même si les fondatrices n’y évoquent pas que les comportements sexistes, ils y restent nombreux, ceux qui reviennent le plus souvent.
On n’est pas étonnées que les autres dénonciations soient liées à l’écrasement des minorités. En général, la connerie est livrée en pack. Un sexisme acheté, un racisme offert!
Le compte n’est plus trop actif, il me semble, mais a déjà accompli un gros travail de recueil de témoignages. On peut y croiser quelques-uns des miens, et ceux d’autres autrices desquels j’ai été témoin. Ils y sont anonymes, et j’en ai pioché un éloquent pour te donner un exemple.
Aujourd’hui, il y a des femmes éditrices, directrices de collection et même des super cheffes de maisons d’édition. Ça se démocratise petit à petit, trop doucement, comme toujours. Mais elles ne sont pas forcément moins sexistes que le sont leurs homologues masculins. N’oublions jamais que sexisme ordinaire et sexisme intégré vont main dans la main.
Je vais aborder 2 situations ici, qui sont loin, très loin d’être des cas isolés, et qui ne représentent qu’une infime proportion de tout ce que j’ai pu entendre, voir, lire… et subir.
Cet éditeur beaucoup trop tactile
Il n’était pas spécifiquement mon éditeur. Mais il travaillait dans une maison d’édition avec qui j’avais signé. Pour des raisons évidentes de protection contre les accusations de diffamation et compagnie, je ne donnerai pas de nom ni d’indice permettant de l’identifier.
Cet homme avait pour habitude d’être très tactile, avec les autrices en particulier. Je ne l’ai jamais vu aussi pressé de toucher ses collaborateurs…
J’ai eu droit à un bras passé autour de mes épaules, en public. Quand on y pense avec assez de recul, on se dit “OK, c’est pas bien grave, un bras. On se dégage doucement pour signaler qu’on n’est pas open pour ce type de manifestations physiques et basta.”
Dans la vie, ça n’est jamais aussi simple. Surtout quand on est à un événement professionnel et qu’on souhaite rester pro. Donc le dégagement est plus compliqué. Et puis on ne va pas se mentir: on est conditionnées.
À subir.
À serrer les dents.
À sourire.
Sauf qu’à l’intérieur, tout ton corps te hurle “Mais vire-moi ce pot de colle!”
À une autre occasion, j’ai demandé à cet éditeur de dire à l’un de ses subalternes de cesser de me contacter, que j’allais devoir déposer une plainte pour harcèlement (on en était là, oui). Il m’a répondu “Vois ça directement avec lui.” Charmant, et assez éloquent aussi. Très symptomatique du sexiste qui nie le sexisme et ses responsabilités.
Si j’avais besoin d’une preuve que le boy’s club existe vraiment, je l’aurais eue à cet instant. Mais je savais déjà que ce n’était pas une légende.
Éliminer un de ces sales types aurait été un bon début, même si l’édition regorge d’autres spécimens, comme mon expérience me l’a appris.
Le sexisme en salon littéraire
Trigger Warning: situation de contact physique imposé détaillée dans le passage qui suit.
Lors d’un salon où j’étais exposante, j’ai rencontré une maison d’édition dont le stand se retrouvait régulièrement près du mien. Normal, entre petites structures indépendantes, on est toujours plus ou moins parquées dans les mêmes sections.
Le premier contact a été assez neutre, même si j’ai immédiatement compris leur mode de fonctionnement. On amène le vin et la bière dès 10h du matin, on picole toute la journée, et à l’heure de l’apéro, on a déjà 13 grammes dans le sang. Ce qui explique le contexte mais n’excuse et n’excusera jamais rien, on est bien d’accord.
Après tout, ils font ce qu’ils veulent, ça ne m’enlevait rien. Jusqu’au soir où ils nous ont proposé un verre, à moi et aux filles du stand.
Et donc, une fois bus, il a fallu leur ramener les verres. Il n’y avait qu’une étroite allée à traverser, en public, toutes lumières allumées. Rien d’inquiétant. Je me porte volontaire.
C’est à ce moment que le patron de cette maison d’édition a décidé de me prendre dans ses bras. Et de me serrer très fort contre lui, refermant l’étreinte et me bloquant toute esquive. Mes bras le long du corps, coincés dans les siens, le visage écrasé sur son torse, j’ai tenté de me dégager. Je lui ai dit de me lâcher, j’ai voulu le repousser, mais il était physiquement bien plus fort que moi. Bon, depuis j’ai pris 25 kilos, donc si je le croisais à nouveau, je pourrais m’asseoir sur lui et mettre fin à ses jours assez rapidement. C’est totalement faux, hein: je ne pense pas que ça aurait fait une différence.
Mais à l’époque, j’étais mince. Il ne m’aurait pas enlacée de force, si ça n’avait pas été le cas. Je le sais, car cet éditeur prenait toujours des stagiaires sveltes et jeunes sur les salons, pour jouer les potiches. Rappelle-toi, les femmes n’ont pas un cerveau aussi performant que les hommes, à quoi pourraient-elles servir d’autre, dans un salon.
J’ai fini par arrêter de me débattre, pour transiter vers un état de sidération, passive, attendant qu’il me libère.
J’étais au milieu d’une foule avinée, dans un lieu ultra public, et j’avais explicitement manifesté mon refus de ce contact hyper intime où chaque partie de son corps était en contact avec le mien. Oui, il était excité. Non, ce n’est pas passé inaperçu. Oui, j’ai encore envie de vomir quand j’y pense.
Quand il a décidé qu’il en avait marre de me soumettre à sa volonté, il a fait un pas en arrière et m’a souri. J’étais toujours en état de sidération, y compris quand je suis retournée à mon stand.
Tu sais le pire? J’ai raconté aux filles ce qui venait de se produire, et aucune n’a réagi. 2017 n’avait pas encore eu lieu, et j’en faisais beaucoup pour pas grand-chose, non?
Jouer le jeu du sexisme, ou tracer sa route?
Non. Car ce que je qualifie d’agression physique m’a marquée. Sur le moment, j’ai réalisé mon impuissance physique. Dans ma tête, un scénario tournait en boucle: si nous avions été seuls, qu’aurait-il pu m’imposer d’autre?
J’ai pensé à toutes ces femmes ayant subi des agressions de toutes sortes. Je ne suis pas là pour hiérarchiser les agressions, bien sûr, mais j’ai forcément pensé aux victimes de viols. Je n’ai eu qu’un aperçu de mon incapacité à réagir et, oui, j’ai pensé à elles.
J’ai eu de la chance. C’est dingue de se dire qu’un mec a pu frotter son érection contre mon ventre, en public, et que je m’estime chanceuse. Mais quand on voit le monde dans lequel on vit, on en arrive à ce genre de conclusion.
Pour les 4 jours suivants du salon, mon amie m’a prêté un jean. Je n’avais prévu que des robes, et je ne voulais pas être à la merci de ses regards durant tout ce temps. J’ai aussi évité les décolletés, pour la même raison.
J’ai joué le jeu. J’ai joué son jeu. C’est incroyable d’en arriver là. Moi qui étais déjà engagée à l’époque, qui défendais les droits des femmes, je me suis ratatinée sur moi-même.
Fin du trigger warning
Puis il y a eu cette grosse maison d’édition qui a poussé ce gros pervers à la démission, et ça a commencé à parler et à bouger.
Pour autant, tant qu’on ne changera pas les mentalités, le monde de l’édition véhiculera toujours autant de sexisme. Et on entendra systématiquement, comme pour celui qui m’a imposé cette étreinte, comme pour celui qui a agressé autrices et éditrices: “tout le monde savait”. Je confirme: on m’a par la suite beaucoup parlé du comportement de la maison d’édition du pervers sur qui j’aimerais m’asseoir pour lui passer l’envie d’emmerder qui que ce soit. Stagiaires, autrices, de sa maison ou celles autour de son stand: toutes ont rapporté des comportements similaires de cet éditeur, et de ses collègues.
Qu’on se rassure, tout va bien pour lui et sa maison d’édition. Et tout le monde continue de se taire. Tu sais, la diffamation, tout ça… On sait comment les victimes sont traitées en France, donc oui, on se tait. Mais de plus en plus, “[on] se lève et [on] se casse” aussi.
Pour conclure…
Pour répondre à la question, sans aucun suspense ni surprise: oui, le sexisme est encore bien présent dans le milieu éditorial. Y compris dans le genre de la romance, qui est pourtant majoritairement écrite par des femmes. On commence à y voir de plus en plus d’éditrices, enfin, mais j’ai malgré tout dû collaborer avec un éditeur pour la réédition de ma première romance érotique, en 2015. OK, ça ne date pas d’hier, mais son commentaire sur le fait que mon livre l’a fait, je cite: “bander”, est resté dans ma mémoire.
Certains diront que quand on écrit de l’érotique, faut s’attendre à ce genre de réaction. Et pourtant, il reste le seul et l’unique à m’avoir dit ça ou quoi que ce soit d’approchant, en 10 ans de publication de ce livre. Car mes lectrices, elles, ont compris que mon but n’était pas d’exciter les vieux éditeurs à la sale odeur de patriarcat périmé, mais de contribuer, à mon niveau, à l’émancipation sexuelle des héroïnes de romances. Et donc, des lectrices…
On a encore du chemin à faire, mais je crois qu’on avance… je crois…