– C’est très gentil à vous, mais je m’en voudrais de vous tenir éveillée, je finis par répondre en reculant d’un pas.

Qu’est-ce qui me prend? J’ai peur d’une grand-mère qui ne dégage rien de menaçant! Et puis pourquoi, d’un coup, je réalise qu’il n’y a plus un bruit? Plus de rollers, de claquettes, ni même de partie de Mario Kart? J’étais tellement déterminée, en montant, que le silence ne m’a pas interpellée. Il est évident que cette dame ne peut pas être à l’origine du boucan qui m’a poussée à taper à sa porte. Alors quoi? Elle planque une boîte de nuit clandestine dans son appart? Elle organise des soirées mousse dans sa cuisine, et ils ont un code, si quelqu’un comme moi débarque? Genre, à quelques mètres de nous, des adolescents drogués font de leur mieux pour être aussi figés que sur une photo, et y parviennent sans souci?

Je secoue la tête, visiblement trop fatiguée pour raisonner logiquement. Ce que j’envisage n’a aucun sens, et l’air confus de ma voisine du dessus me confirme que je déraille.

– Vous vous sentez bien, ma petite?

– Oui! Parfaitement! Je suis désolée de vous avoir dérangée, je me suis trompée de porte!

– Ce n’est pas grave, vous savez… Je ne vois pas beaucoup de monde. Ça me change.

Ma théorie des soirées clandestines vient de tomber à l’eau… Ou alors, cette femme est excellente comédienne.

– Je vous souhaite une bonne installation, madame, et vous réitère mes excuses pour le dérangement.

– Une bonne installation?

– J’imagine que vous devez encore être dans les cartons. Vous avez besoin de quelque chose pour vos premiers jours?

– Mademoiselle, j’ai toujours vécu ici. Vous devez effectivement vous tromper d’appartement.

Sur ce, elle marmonne « bonne nuit » et me claque la porte au nez. Je reste interdite devant les chiffres dorés vissés à hauteur de regard.

408.

Non, il s’agit bien du même logement situé pile au-dessus du 308, le mien. Je ne perds pas la tête, hein? Je me souviens parfaitement être venue souhaiter la bienvenue à au moins deux locataires différents!

Je me dirige vers les escaliers, le cerveau en ébullition, et en descends les marches en mode automatique. J’essaie d’analyser ce qui vient de se produire. Mais il manque quelques raccords aux événements. Par exemple, comment se fait-il que le bruit se soit arrêté dès que je suis montée, alors que moi-même, j’ai été discrète pour ne déranger aucun autre résident de l’immeuble? Ce n’est pas comme si, alertés par ma présence, les empêcheurs de vivre dans le calme avaient cessé toute activité! Sacrée coïncidence, quand on y pense, non?

Et cette dame âgée qui vient d’emménager et a déjà oublié qu’elle n’habite pas ici depuis « toujours »: elle a de gros soucis de mémoire! Elle semble réellement vivre seule, ce qui ne me paraît pas prudent. Si on est atteint d’Alzheimer au point de perdre la notion de l’espace et du temps comme c’est son cas, on ne peut pas rester isolé. Ce n’est pas prudent! Qui louerait un appartement dans ces conditions à une personne ayant visiblement besoin de soins? Et sans prévenir les voisins qu’une dame fragile et vulnérable vit ici? Il faut être préparé pour avoir les bons reflexes! Est-ce le monde qui tourne à l’envers, ou moi qui réfléchis trop?

Un peu des deux?

Je referme très lentement ma porte d’entrée. Comme si la vitesse de mes gestes pouvait avoir une incidence sur mon environnement… Je sursaute en poussant un cri de biche traquée lorsqu’un impact à l’étage supérieur fait vibrer les murs! On dirait qu’un piano vient de tomber! Cette suite à mon expérience étrange de ce soir me sort de ma stupeur!

Dans le silence qui a succédé au fracas, je récupère mon ordinateur et éteins la lumière en me rendant dans ma chambre. Une fois sous la couverture, je relance ma série tout en ayant pris une décision afin d’éclaircir cette situation. Demain, je…

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