Quelle meilleure occasion que cette journée internationale des droits des femmes pour évoquer cette dualité dans ma personnalité: celle d’être autrice de romances féministe?
Le féminisme en question
Ma conscience féministe s’est éveillée sur le tard, grâce à la sensibilisation de mon fils. La nouvelle génération a beaucoup à m’apprendre, et le féminisme est sûrement la plus belle évolution de ma pensée. Car même si j’ai toujours fait en sorte de combattre les injustices, la société patriarcale a, quant à elle, fait en sorte que je ne sois pas lucide sur une bonne partie des inégalités et oppressions de notre monde. Alors c’est vrai, il aura fallu attendre la fin de ma trentaine pour réaliser que je ne savais pas ce qu’est le féminisme.
D’ailleurs, c’est quoi? On entend à peu près tout et n’importe quoi sur le sujet. Alors qu’il est pourtant simple de définir cette notion: le féminisme est un combat visant à établir l’égalité en tous points pour tout le monde. Quelle que soit le genre assigné à la naissance, l’orientation amoureuse et/ou sexuelle, la couleur de la peau, qu’on soit valide ou non, etc.
Partant de là, on pourrait alors se dire que tout le monde est forcément féministe, non? Bien entendu, si c’était aussi simple, ça se saurait! Il y a des tensions au sein même du féminisme, plusieurs mouvements que déterminent des nuances, et c’est plus complexe qu’il y paraît.
Pour ma part, mon féminisme est dit intersectionnel. C’est-à-dire que je crois autant en l’importance de me battre pour le droit des femmes (AFAB ou trans), que ceux des enfants, des personnes racisées, non-valides, que je suis également persuadée que l’écologie joue un rôle dans cette lutte. En gros, je me bats contre les opprimé.es du système patriarcal établi par des hommes cis-genres (désignés de sexe masculin à la naissance et qui s’identifient au masculin), hétérosexuels, valides, blancs et riches.
Est-ce à dire que je suis parfaite? Absolument pas!

Romance et féminisme
Je reste persuadée que le genre littéraire de la romance a longtemps servi le patriarcat, et continue d’ailleurs à le servir. Il existe beaucoup de romances qui reflètent leurs autrices, et il serait cependant injuste de mettre toutes les productions dans le même panier.
La romance des années 70, par exemple, faisait la part belle au schéma qui incitait les femmes à rester à leur place. Certains diraient donc “à la cuisine” et ne seraient pas loin de la vérité. Car si on lit des Harlequin de cette époque, on constate que, oui, c’est vrai, la femme s’émmancipe. Mais elle le fait sous le contrôle du héros, le mâle dominant. Dominant à plusieurs niveaux, notons. Il est bien souvent plus sexuellement expérimenté, son poste professionnel a plus d’importance que celui de l’héroïne, il est autoritaire, “rassurant” et offre une alternative (dont on se serait bien passées) à la révolution qui battait déjà son plein.
La libération sexuelle, oui, mais seulement si l’homme reste le seul véritable maître à bord! La fin classique des romances des années 70 est de voir l’héroïne préférer quitter son emploi et abandonner toute ambition de carrière, pour s’occuper de son mari et de sa famille. Ce qui, en soit, n’est pas problème: le féminisme prône la liberté de choisir. Le hic est quand aucune autre possibilité n’est envisagée. Combien de romances de ce dernier tiers du XX° siècle donnent l’opportunité à l’héroïne de choisir sa carrière, et de ne pas, par exemple, vouloir d’enfant? À ma connaissance, parmi les titres les plus commercialisés, ce n’est pas du tout la norme. Les lectrices étant principalement des femmes (à plus de 85% à cette époque), le message qui leur est envoyé à travers leurs lectures est qu’elles peuvent s’amuser un peu, mais qu’il s’agirait de ne pas trop déconner et de retourner gérer le foyer pendant que monsieur s’en va chasser et pêcher le repas du soir.
Les années 80 et 90 évoluent sur les tropes, c’est-à-dire sur les schémas récurrents, et apportent une petite diversité sur les sujets traités. Mais on reste malheureusement encore et toujours sur la routine: rencontre-découverte sexuelle grâce à l’homme-mariage et bébé-puis abandon de carrière professionnelle.
Jusque-là, on comprend bien qu’il est difficile de voir dans les histoires les plus répandues du genre un soutien quelconque au féminisme. Bien au contraire, on a une promotion évidente pour ce à quoi le patriarcat aspire: des femmes soumises et obéissantes, qui ont un petit peu le droit de s’échapper dans la fiction, mais pas trop et sous surveillance.

Héroïne badass et féminisme
Petit bond dans le temps pour arriver au début des années 2010. C’est à ce moment que la romance est revenue sur le devant de la scène littéraire. La romance New Adult, notamment, a apporté un vent de fraîcheur au genre. L’héroïne n’est plus systématiquement vierge, et elle sait qu’elle a le choix concernant sa vie, et pas uniquement à travers le héros.
En 2010, en France, aux États-Unis (mais pour combien de temps?) et dans les pays où la romance se vend le mieux, le paysage politique et féministe a apporté beaucoup de changements (lents, insuffisants, mais réels). Ainsi, une femme peut avoir un compte en banque à son nom, elle peut faire carrière (même si on attend toujours d’elle qu’elle soit aussi performante dans son travail qu’au sein de sa famille), elle aussi a accès à une contraception qui ne lui fait pas prendre le risque, à chaque rapport, de tomber enceinte (mais c’est redevenu incertain, hello Trump, on te voit).
Ces avancées ont changé la donne pour les romances, et on voit ces héroïnes dites badass affronter de plein fouet tout ce que la vie s’amuse à balancer sur leur chemin. Chaque obstacle est surmonté, parfois sans aucune aide du héros (girl powa!) et on constate aussi une plus grande variété de personnalités.
On sort du schéma dominant-soumise pour voir fleurir des relations bien plus horizontales (et non, je ne parle pas de coït, petit canaillou). Sans dire qu’on est dans une égalité totale et parfaite, le décalage est bien moins flagrant.
Alors, on pourrait penser que ces héroïnes 2.0 de romances sont bien plus féministes-friendly que l’étaient leurs ancêtres? Ce qui nous amènerait à la conclusion logique que, par extension, les romances ne sont plus un outil du patriarcat et peuvent servir la cause féministe?
Si seulement c’était aussi simple… Car c’est là, précisément, que mon cas de conscience se manifeste.

La romance peut-elle être féministe?
Comme je le disais, il y a une très grande variété de romances, et de sous-genres de la romance. J’ai presque envie de dire qu’il y a finalement autant de types de romances que d’autrices. Chacune apporte sa touche personnelle, son intention littéraire, son message, sa culture etc. à l’histoire d’amour qu’elle écrit.
Ce qui signifie qu’on trouve de tout, y compris des romances qui, sous des airs d’un modernisme utopique, continuent de véhiculer des schémas patriarcaux en toile de fond.
Par exemple, le héros est très rarement plus petit que l’héroïne. C’est un fait, n’importe qui lisant des romances constatera que l’homme est presque toujours présenté comme grand et fort. Pourquoi? Parce que le virilisme nous dit que c’est ainsi que l’homme doit être. La femme est censée être petite et douce, et lui sera toujours son protecteur.
C’est ainsi qu’on voit apparaître des histoires mettant carrément en scène des relations toxiques, parfait reflet d’une réalité où les féminicides sont légion, et où il est très difficile de quitter un pervers narcissique. Sous couvert de l’amour, alibi pour des comportements abusifs, on veut nous faire croire que, comme c’est de la fiction, “c’est bon, ça passe”. Je parle bien entendu de la dark romance, vaste sujet, que je n’aborderai pas en détail ici, car ce sous-genre mérite de s’attarder longuement sur son cas. Toujours est-il que je ne peux pas parler de romance et de féminisme sans évoquer la dark romance, genre qui a le vent en poupe, et qui dessert bien évidemment la cause féministe. La situation des victimes d’hommes violents est un fléau, la romantiser à travers le prisme du genre de la romance est dangereux.
Mais même si on va du côté des romances moins subversives, il n’est pas rare de constater des comportements toxiques de la part du héros, dont le spectre s’étend de la remarque a priori anodine, aux violences psychologiques et physiques. Le sexisme intégré et la culture du viol ont encore de beaux jours devant eux, y compris grâce à la romance. Mais cela ne signifie pas non plus qu’il est impossible qu’une romance dépeigne une histoire d’amour saine, qui ne véhicule pas des schémas allant contre tout ce que le féminisme défend.

Concilier romance et féminisme quand on est autrice
Je n’ai aucunement l’intention de déclarer que mes romances ont toujours été féministes et le seront toujours. Je suis même convaincue du contraire. Je n’en ai pas honte, car je suis tout autant victime du sexisme intégré que n’importe qui ayant été adolescente dans les années 90.
Mon système de valeurs s’est développé avec mon entourage, mes enseignant.es, mais aussi avec la culture pop: les films, la musique, les livres et les séries. Sans parler des publicités (nous sommes, après tout, une génération d’enfants de la télé).
Alors oui, parfois, et même encore aujourd’hui alors que je travaille quotidiennement à affiner mon engagement féministe, il m’arrive d’écrire un comportement inacceptable de la part du héros. Et le pire? C’est qu’il m’arrive aussi d’écrire un comportement sexiste envers une femme de la part d’une femme! C’est le cas d’une situation dans ma première romance Feeling Good, qui n’est actuellement plus éditée, où je ne me suis pas privée d’utiliser la fameuse rivalité féminine. Cette situation où on place deux femmes en opposition, tout ça par rapport à un homme, bien sûr. L’ex de mon héros, Sandro, devient la némésis de mon héroïne, Sarah, alors qu’elle n’a rien fait d’autre… qu’exister. Je suis un produit du patriarcat et je tente d’effacer ces réflexes. Ce n’est pas facile, mais je suis convaincue que ce n’est pas impossible.
Aujourd’hui, je le dis haut et fort: je suis une autrice de romances féministe. Ce n’est pas évident, mon parcours est loin d’être parfait. Et si je ne me consacrais pas à écrire des nouveautés pour mes lectrices, je me plongerais probablement dans mes premiers textes pour y gommer tout le sexisme inconscient que j’y ai disséminé. Pour tout t’avouer, j’ai voulu le faire avec le tome 1 de ma série Les Golden Boys, Dante, (titré Nous deux à l’infini, chez HarperCollins). J’ai ouvert le fichier, j’ai naïvement cru que, comme pour ma réécriture de Follow Me, il me suffirait de relire en corrigeant au fur et à mesure.
Tu l’entends, le rire diabolique de ma muse qui s’estompe dans le lointain?
Si je voulais façonner cette histoire pour qu’elle soit conforme à mes valeurs d’aujourd’hui, il faudrait que je la réécrive totalement. Je ne conserverais pas grand-chose du manuscrit de base. Aussi, n’étant pas ma priorité, cette romance restera pour le moment dans les tiroirs virtuels de mon ordinateur.
Ce qui ne signifie pas que je ne m’applique pas à prêter davantage attention à ne pas me laisser désorienter par ce que la société m’a fourré dans le crâne depuis mon plus jeune âge. Les hommes ne pleurent pas, les filles prennent soin des autres, et toutes ces croyances limitantes ancrées dans l’inconscient collectif sont longues à déconstruire. Mais elles ne sont en aucun cas une fatalité. Et si mes histoires ont pour vocation première de divertir, d’apporter des bonbons roses dans l’imaginaire de mes lectrices, elles sont également de parfaits vecteurs pour transmettre les valeurs qui me sont chères.

Pour conclure…
Le sexisme fait partie de notre société depuis si longtemps, qu’il serait irréaliste de s’imaginer l’erradiquer de la romance simplement parce qu’on le souhaite. C’est un travail sur le long terme, mais il me semble que si, toutes, chacune à notre niveau, à notre envie, à nos valeurs, prenons la peine d’apporter une petite pierre à l’édifice, alors la romance sera féministe, divertissante, et le reflet d’une réalité où le monde n’est plus dirigé par une écœurante broligarchie… D’ici là, continuons de permettre aux lectrices de s’évader à travers nos récits pour quelques heures, encore, et encore.
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