Je pose mon sac qui loupe la table et tombe au sol dans un bruit mat. Je le fixe quelques secondes sans réagir, et sursaute au son de… guitare électrique ? Je trouve en moi, tout au fond de moi, l’énergie de relever la tête vers le plafond. La foi quitte lentement mon corps quand je réalise que mes nouveaux voisins ont des passions toutes plus bruyantes les unes que les autres. Après la journée que je viens de passer, je n’ai plus une once de patience en réserve.

Pour commencer, Myriam était encore absente. En maladie, d’après les informations que le chef a bien voulu nous transmettre. Et si par « en maladie » il veut dire qu’elle n’est pas encore revenue de son voyage aux Maldives, et qu’elle y a prolongé son séjour sans prévenir, et qu’on se retrouve avec son travail sur les bras, en plus du nôtre, alors je veux bien être en maladie, moi aussi !

Respire, tout va bien se passer…

Donc, après avoir réorganisé les plannings de la semaine, avoir constaté qu’il était humainement impossible d’assumer un poste et demi dans nos conditions actuelles de travail, après avoir tenté en vain de convaincre le boss qu’il faut de toute façon embaucher, après avoir découvert que mon repas était resté sur le comptoir de ma cuisine, et après avoir dû me contenter d’un ignoble sandwich du snack plus que douteux d’à côté, non, je n’ai plus de patience !

Et je suis bizarrement essoufflée après avoir passé en revue ma journée d’une traite. Depuis quand mon cerveau utilise de l’oxygène pour penser ? S’il faut, c’est le cas de tout le monde, mais comme j’ai toujours fait la sieste pendant les cours de SVT, et que je n’ai aucune envie de lancer une recherche Wikipedia, ça restera un mystère.

Zen, on a dit zen !

J’allume le chauffage dans la salle de bain, retire mes fringues qui puent la clope que Sophie a fumée à côté de moi à la pause, et détache mes cheveux que je dois aussi laver à cause de l’odeur.

Le lundi est un jour maudit qui devrait être bani de la semaine ! Je ne connais pas un seul lundi qui se soit déroulé à mon avantage. On dirait que toutes les merdes s’accumulent pendant six jours pour exploser ensemble le septième. S’il faut, c’est ce qui était noté dans la Bible, à l’origine, mais comme ça vendait moins du rêve, ils ont bidouillé une histoire de repos le dimanche.

Les Américains ont tout compris : la semaine démarre le dimanche, sur leurs calendriers. Parce qu’ils savent que le septième jour, c’est le lundi, et qu’il pue autant que moi après un café en compagnie de Sophie !

J’utilise plus de savon que nécessaire, trop de shampooing qui me coule dans les yeux, je hurle quand l’eau passe de brûlante à froide à brûlante sans raison, et rends les armes pour aujourd’hui en me séchant sans énergie. Il est évident que rien ne tournera en ma faveur, et que je me coucherai de la même humeur que celle du réveil.

Pour une fois que je ne veille pas pour mater des séries, il faut que ce soit le voisinage qui m’empêche de dormir ! Ils ont encore déplacé des meubles et ri jusqu’à point d’heure, là-haut ! C’est scandaleux ! Et je ne tiendrai pas longtemps à ce rythme, c’est certain…

Je fixe mon poing rageur tendu vers le ciel, et prends conscience d’une chose essentielle : je suis en partie responsable de la situation. Il y a trois jours, j’ai choisi de ne rien faire, de brancher mes écouteurs et de continuer ma série en injectant dans mes tympans plus de décibels que l’OMS le recommande.

Depuis, c’est de pire en pire. Si j’avais écouté mon instinct au lieu de suivre ma flemme, ma soirée s’annoncerait sûrement plus sereine. Toutes mes soirées à venir ne m’angoisseraient pas à l’avance, surtout !

Je sais, rien n’est irréversible, et je peux encore me manifester. Je peux faire ce pas vers la libération auditive qui n’attend que moi ! Sauf que je suis si fatiguée ! Pourquoi je dois m’occuper de ce problème, alors que j’en ai géré non-stop au travail, toute la journée ? À quand un moment OFF, hein ? Le matin ne compte pas, car même s’ils roupillent quand je me prépare, j’ai trop la tête en vrac pour apprécier le silence.

J’ai la sensation que mon Kraken interne veut se réveiller, mais que l’épuisement le combat férocement pour m’inciter à me jeter sur le canapé avec une série. Une lutte dont je ne connais pas l’issue, car je ne parviens pas à réfléchir correctement, avec ce son saturé de guitare. On se concentre, ce n’est pas compliqué !

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